Ce texte n'est pas de moi. Il est la réponse d'un spécialiste du bois. Merci infiniment pour ces informations. Et surtout, un grand merci à l'épicéa pour rajouter ces aventures !!!
Moi "le sapin de 210 ans" suis en fait un véritable épicéa, le sapin a les cernes plus écartées et le coeur brun-rouge, nous sommes cousins, la fameuse famille des "Résineux"... Plus lourd et rempli d'eau, il grandit plus vite que moi à des altitudes plus basses et ses propriétés mécaniques sont moindres en termes de résistance, les anciens le savaient et toutes les maisons d'époque appelées à supporter de grosses masses de neige étaient faites en charpente d'épicéa uniquement.
Les temps changent, aujourd'hui, les jeunes se soucient beaucoup mois de ça à vrai dire mais un jour la nature les rappellera à l'ordre nous en reparlerons...
Mais vois-tu mon ami j'étais tout simplement malade, atteint par ce satané bostryche, un insecte qui se glisse sous l'écorce et se nourrit de sève: c'est pourquoi on m'a abbattu en fait...
On voit bien que je ne suis pas au mieux car j'ai des tâches sur ma face coupée, jaunes, rouges ou brunes et à chaque fois aussi des bleues (synonyme d'un arbre qui sèche, dont la montée de sève n'est plus suffisante pour résister aux aléas de la vie).
Et puis j'allais dire que j'ai le coeur brisé... on constate une roulure centrale et cette fente qui trahit mon vieil âge, hantise du scieur et du menuisier... j'ai le coeur bon pourtant tu sais, j'ai passé ma vie à protéger tout le monde, du monde végétal jusqu'à l'animal et j'inclus comme tu le dis si bien, le bipède homosapien, celui qui se pait à randonner dans nos lointaines contrées.
Tu sais j'ai passé ma vie à plus de 1200 mètres et j'en ai vu passé, le jour et la nuit!
J'ai donné naissance à plein de petits, j'en ai vu mourir avant l'âge et d'autres au contraire se fortifier de jour en jour.
Alors finalement le forestier a eu raison de me couper pendant que je vaux encore quelque chose et surtout avant qu'on me retrouve cassé en deux par la neige ou le vent: certes j'avais jusque-là résisté vaillamment aux tempêtes mais je préfère partir dignement de cette façon, avec les honneurs car je t'assure qu'on m'a bien traité, caressé avec soin, même parlé comme il se doit...
Et puis, en me laissant sur pied, je risquais de devenir contagieux pour mon entourage, ces diables d'insectes passent d'une branche à une autre et on se touche parfois en forêt, comme vous en ville je crois!
Alors j'aurai eu une belle vie, passant du statut de jeune premier, dominé à celui de dominant, maître absolu de mon territoire. On voit tout ça en décodant mes cernes: plus c'est serré, plus j'avais de voisin plus grand que moi qui me privait de soleil; à l'inverse, des cernes écartées montre la supériorité d'un spécimen sur les autres, la concurrence est aussi dans la nature!
On devine aussi ma face la plus ensoleillée au-dessus à gauche avec là-encore des cernes plus écartées mais surtout des noeuds (les branches poussent de préférence au soleil). Que j'aimais prendre le soleil indispensable à la photo-synthèse, mécanisme de ma croissance, que j'aimais déployer mes ailes à l'infini!
Alors il y en a eu des évènements dans ma longue vie, et mes cernes parlent! il y a eu entre autres des voisins dominateurs, des météos changeantes, des sècheresses, l'un de nos pires ennemis nous les résineux, des odeurs de poudre, parfois de pipi, des pluies acides, des retombées de particules nucléaires venat de l'Est, des hivers de fou à ne pas mettre un épicéa dehors et surtout... l'hiver 1956 aux températures extrèmes où j'ai vu des confrères geler sur pied dans le Risoud!
Et puis j'ai vu aussi disparaître mes frères un par un, c'était au départ à l'époque des passe-partout, ça faisait un bruit comme chez le dentiste quand l'outil coupait mal mais je préférais de loin cette technique à vos diaboliques tronçonneuses. Un jour tu verras, on prouvera que nous les arbres sommes perturbés dans notre bon fonctionnement par cette machine au bruit assourdissant!
Enfin, je contemplerai tout cela tranquillement dans mon salon, devant la télé, transformé certes en madriers et autres plateaux ou chevrons mais serein et fier du devoir accompli...
Merci à toi l'ami d'avoir eu ces belles pensées pour moi, je t'en suis reconnaissant, il est rare de nos jours de prendre le temps de poser un véritable regard sur l'autre, ton émotion me va droit au coeur...
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